Le Président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, a accordé une interview au journal chinois "Renmin Ribao" (Quotidien du Peuple) dont voici le texte intégral :
Cette année marque le 50e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et l'Algérie. Pendant les 50 ans écoulés, l'amitié sino-algérienne a résisté à de nombreuses épreuves et s'est fait remarquer par sa sincérité, sa solidité et sa vitalité. Il faut souligner que les relations de coopération entre nos deux pays dans tous les domaines sont entrés dans une étape toute nouvelle. Quelle est votre appréciation sur le développement des relations sino-algériennes dans le domaine de la politique, de l'économie, de la culture et autres, durant les 50 ans écoulés ? Ces dernières années, les relations sino-algériennes se révèlent de quelles particularités et de quelles progressions ?
Je pense qu'il est bon tout d'abord de remonter à la source de l'amitié entre nos deux pays. Comment, en effet, ne pas rappeler le soutien actif de la République populaire de Chine à l'Algérie qui était alors en lutte pour le recouvrement de sa souveraineté nationale, ainsi que la décision du gouvernement chinois de reconnaître le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), trois jours seulement après l'annonce de sa création, le 19 septembre 1958.
Trois mois plus tard, le 20 décembre de cette même année, les relations diplomatiques étaient établies entre la République populaire de Chine et l'Algérie en lutte, il y a donc cinquante ans de cela.
Tout en empruntant chacune sa propre voie de développement national, l'Algérie et la Chine ont continué à partager les mêmes convictions de paix, de sécurité, de progrès et de solidarité, qui ont contribué à donner un développement de leurs relations bilatérales dans tous les domaines.
Ainsi, il est significatif que, dès 1963, l'Algérie a été le premier pays en développement a recevoir des équipes médicales chinoises, sur la base d'un accord régulièrement révisé, toujours en vigueur et qui a permis, depuis, à près de 3.000 médecins chinois d'exercer dans les structures hospitalières algériennes.
L'Algérie a activement soutenu la légitimité du recouvrement par la République populaire de Chine en 1971, de son siège au sein des Nations unies, et de son statut de Membre permanent au Conseil de sécurité.
Il convient également de souligner que cet engagement solidaire, l'Algérie l'a prolongé et constamment honoré en réitérant à chaque fois, de la manière la plus ferme, sa position au sujet de la question de Taiwan ainsi que son soutien à l'unité et à l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine, seule représentante du peuple chinois.
La décennie 1980-1990 a constitué une autre étape importante, durant laquelle le volet économique de notre coopération bilatérale a été privilégié. C'est durant cette période que nos pays ont conclu les premiers grands accords-cadres de coopération économique, commerciale et technique.
Au cours de ces dernières années, nous avons entrepris de dynamiser, de diversifier et de densifier les relations algéro-chinoises, afin de les orienter dans le sens d'une coopération globale répondant à nos attentes et reflétant la qualité des liens politiques entre nos pays.
Je dois ici rendre hommage à mon ami le Président Hu Jintao, dont le concours précieux a permis la réalisation de cet objectif dans l'intérêt de nos deux pays.
C'est dans ce cadre que s'inscrivaient précisément mes deux visites d'Etat en Chine, en 2000 et 2006, ainsi que celle effectuée en Algérie en 2004 par le président Hu Jintao.
L'aboutissement de ces efforts communs a été la Déclaration sur l'approfondissement des relations de coopération stratégique que nous avons signée à Pékin en novembre 2006 et qui inaugurait une nouvelle étape majeure dans le développement de nos relations bilatérales.
Tout en définissant le cadre d'une concertation politique régulière, cette Déclaration constitue la feuille de route d'une coopération globale, ouverte à l'ensemble des domaines d'intérêt commun. Notre coopération bilatérale est aujourd'hui entrée dans une phase opérationnelle active et elle a acquis une dimension exemplaire digne de l'amitié entre nos peuples.
Les opérateurs économiques chinois, auxquels nous avons accordé notre confiance, sont associés aux plus grands projets en cours de réalisation en Algérie, dans le domaine des infrastructures routières avec le mégaprojet d'autoroute Est-Ouest, hospitalières et hydrauliques, la réalisation de programmes de construction de logements, ou encore le projet de transfert des eaux souterraines sur une distances de 750 kilomètres entre In Salah et Tamanrasset dans notre Grand Sud.
Quant aux échanges commerciaux algéro-chinois, leur progression est tout simplement impressionnante si l'on compare leur montant de 433,8 millions de dollars en 2002 à celui de l'année 2007 qui a atteint 3,829 milliards de dollars.
Notre coopération s'est aussi développée dans les domaines des télécommunications et des nouvelles technologies, cependant que des investissements de grands groupes chinois sont réalisés dans les secteurs des hydrocarbures et des mines.
Je mentionnerai enfin la coopération dans le domaine culturel, scientifique et technique, avec de riches programmes d'échanges, l'accueil en Chine de dizaines d'étudiants et de stagiaires algériens, l'accueil en Algérie d'étudiants chinois dans les universités algériennes pour l'étude de la langue arabe, ou bien encore le projet commun de construction d'un Opéra à Alger.
D'après vous, quelle est la perspective du développement des relations sino-algérienne ? Dans quels domaines résident la potentialité et l'avantage pour nos deux pays à approfondir notre coopération ?
Les relations algéro-chinoises sont désormais de nature stratégique, c'est-à-dire qu'elles sont inscrites dans la confiance, la durée, la globalité et l'équilibre des intérêts. Cela signifie également qu'il n'y a, a priori, aucune limite à leur développement tant les complémentarités et les convergences entre les deux pays sont grandes et que l'essor remarquable de la coopération bilatérale, en quelques années seulement, est satisfaisant pour les deux parties.
L'Algérie consacre actuellement de gros efforts et mobilise des ressources financière considérables pour accélérer son développement national et moderniser ses institutions et infrastructures.
De nombreux projets d'envergure sont actuellement en préparation et leur concrétisation, que nous souhaitons prochaine, est de nature à intensifier les actions de coopération entre nos deux pays.
Je mentionnerai notamment les projets dont l'intérêt premier est de contribuer à accroître les investissements chinois en Algérie, tout en les élargissant au-delà du secteur des hydrocarbures. Il en est ainsi du projet de création d'une zone de coopération économique et commerciale en Algérie, où des groupes chinois proposent, entre autres, d'implanter une usine de fabrication automobile.
C'est également le cas des propositions qui nous sont soumises pour des investissements intégrés dans le secteur minier ou dans le domaine portuaire. Les perspectives de développement des relations bilatérales sont donc encore très prometteuses et je voudrais souligner à cet égard l'importance que nous attachons au secteur des industries manufacturières, à l'expertise managériale et plus fondamentalement à la formation des ressources humaines. D'autre part, la globalité et les exigences d'équilibres de nos relations ouvrent un potentiel important de coopération dans les secteurs scientifique et technologique, avec, par exemple, un accord de coopération en matière d'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire, dans les domaines du tourisme, de l'environnement et du sport.
Je pourrais ajouter que la décision récente d'ouvrir des lignes aériennes entre l'Algérie et la Chine constitue un facteur supplémentaire de renforcement des relations bilatérales en facilitant notamment les déplacements, dans un sens ou dans l'autre, des personnes, en particulier des hommes d'affaires, des étudiants ou encore des milliers de cadres et travailleurs chinois qui résident et travaillent en Algérie.
Il me semble, enfin, important de souligner que si notre sphère de coopération a encore un large horizon devant elle, les mécanismes techniques et juridiques sont bien en place, la connaissance mutuelle des réalités dans chacun des deux pays est à présent améliorée et la confiance préside plus que jamais aux relations algéro-chinoises et à leur mise en perspective.
On se rappelle que, 37 ans avant, vous avez visité la Chine pour la première fois, après celle-là, vous avez effectué trois autres visites en Chine. Pourriez-vous parler un peu de ces visites et vos différentes impressions
Je garde un souvenir impérissable de tous mes séjours en République populaire de Chine, même si chacun d'entre eux est intervenu dans un contexte particulier.
J'appartiens à une génération qui a connu la Chine des années 60 et qui a suivi son cheminement historique depuis cette date en raison de l'intérêt qu'a toujours présenté pour nous ce pays qui a été parmi les premiers à exprimer sa solidarité au peuple algérien en lutte pour son indépendance, mais également de la communauté des défis auxquels nos pays respectifs étaient confrontés.
Il était donc tout à fait normal que l'Algérie indépendante œuvre au niveau de l'ONU pour la réintégration de la Chine au Conseil de sécurité de l'ONU et c'est dans ce contexte que se situait mon premier séjour dans votre pays ami en juillet 1971.
J'ai effectué mon second séjour en Chine en 1974 à l'occasion de la visite officielle effectuée par feu le Président Houari Boumediene.
La Chine que j'ai connue à cette époque s'est depuis considérablement métamorphosée à la faveur de la politique de réformes et d'ouverture qui a permis à la Chine d'atteindre un niveau de développement qui l'impose comme un acteur majeur de la scène mondiale aux plans politique et économique.
Mes deux dernières visites en Chine ont contribué à consolider les relations d'amitié qui ont toujours prévalu entre nos deux pays et à élever ces relations à un niveau de partenariat stratégique. Ces visites m'ont également permis de me rendre compte des progrès gigantesques accomplis par votre pays dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse des secteurs de la science, des technologies de l'information et de la communication, de la santé... La Chine est un pays fascinant par son histoire et sa contribution à la civilisation humaine mais qui, aujourd'hui, force le respect du fait de son développement rapide, de sa croissance forte et soutenue, de ses prouesses spatiales, de sa maîtrise de la technologie scientifique. C'est un pays qui a réussi à concilier le développement et la modernité, avec la préservation de ses traditions.
Vous avez confirmé votre présence à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Beijing, nous l'attendons ardemment. Comment vous voyez la signification spéciale des Jeux Olympiques de Beijing, organisés par la Chine qui est le premier pays en voie de développement à organiser cet évènement sportif international ? Est-ce qu'on peut savoir votre attente sur les Jeux Olympiques de Beijing ?
L'organisation à Beijing des Jeux Olympiques constitue, à juste titre, une source de fierté pour le peuple chinois. C'est aussi un encouragement et un symbole fort pour les autres pays en développement. Je suis absolument certain du succès de cette manifestation mon diale qui revêt cette année un cachet particulier en dehors du message de fraternité humaine qui en fait la particularité.
Depuis le sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine, les relations sino-africaines maintiennent un bon élan. Cela est non seulement profitable au développement de la Chine et de l'Afrique mais aussi favorable à la promotion Sud-sud et même la paix et le développement du monde entier. Quelles sont vos évaluations sur les résultats du sommet du Forum et ses actions suivies ? Quelles sont les expériences algériennes à cet égard ?
Pour nous, la coopération sino-africaine a toujours constitué un réel levier de développement de l'Afrique. Les grands projets infrastructurels réalisés par la Chine sur le continent africain témoignent du cachet particulier de cette coopération mutuellement avantageuse. Le sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine est venu précisément conforter cette dynamique en inscrivant dans ses objectifs stratégiques l'instauration d'un partenariat global entre l'Afrique et la Chine.
Il est évident que le renforcement qualitatif de la coopération sino-africaine est une contribution importante à l'œuvre de paix et de développement dans le monde.
L'Algérie ne peut que se féliciter de voir le nouveau partenariat entre nos deux pays connaître une évolution qualitative d'envergure. La participation des entreprises chinoises à la réalisation des grands projets de développement engagés chez nous et leur contribution à l'acquisition du savoir-faire comme au transfert de technologie et d'expérience attestent de notre volonté partagée de donner un caractère exemplaire à nos relations.
Selon vous, quelles sont les influences principales de la mondialisation sur les pays en développement, notamment les pays africains ? Dans l'ère de la mondialisation, la coopération Sud-Sud fait face à quels nouveaux défis et thèmes ?
Telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, la mondialisation pose de redoutables problèmes, plus particulièrement aux pays africains exposés à l'exclusion et à la marginalisation. Pourtant, elle pourrait constituer un moyen d'accélération du développement global au bénéfice de tous les peuples.
Il devient de plus en plus impératif d'opérer dans la mondialisation les changements nécessaires pour que l'Afrique puisse renforcer sa dynamique de croissance et contribuer à un plus grand essor de l'économie mondiale.
L'accroissement de l'investissement pour le renforcement des infrastructures du continent africain et de ses capacités technologiques représente une priorité dans l'ensemble de ses objectifs de développement et d'intégration tels qu'énoncés dans le programme du Nepad. La coopération sud-sud, dont les ressources ne sont pas encore pleinement exploitées, peut être d'un apport considérable non seulement pour relever ce défi, mais également pour contribuer à l'instauration de véritables équilibres dans le monde.
Pour terminer, pourriez-vous dire quelques mots sur les succès économiques et sociaux de l'Algérie pendant ces dernières années ?
Nous avons rétabli les grands équilibres macro-économiques et mis en œuvre les réformes structurelles nécessaires à la modernisation de notre économie, à l'accroissement de sa compétitivité et de ses performances, à son ouverture aux échanges extérieurs et à son insertion optimale dans l'économie mondiale.
C'est dans ce contexte favorable que nous enregistrons régulièrement, depuis 2000, une croissance économique moyenne, hors hydrocarbures, de l'ordre de 5%. C'est un rythme soutenu que nous avons stimulé par la mise en œuvre de grands projets structurants, inscrits dans les différents programmes de développement, notamment le programme quinquennal de soutien à la croissance économique et les programmes complémentaires en faveur des wilayas du sud du pays et des hauts plateaux.
Ainsi, ce sont près de 200 milliards de dollars qui auront été investis par l'Etat algérien, au titre de la période 2001-2009, pour doter le pays d'infrastructures modernes dans ses différentes régions. Ces programmes toujours en cours auront des retombées favorables sur l'aménagement du territoire, à travers le rééquilibrage infrastructurel des régions, en tant que facteur de redéploiement spatial des activités économiques et de réponse à la contrainte du manque de foncier industriel.
A ce facteur se combinent des mesures en direction de la sphère de production de biens et de services, particulièrement sollicitée pour plus de contribution à la création de la richesse nationale. Parmi ces mesures, il y a lieu de relever, notamment, la baisse de la pression fiscale sur l'entreprise, qui se situe, actuellement, au niveau le plus bas dans la région, avec 19,8%, de même que l'encouragement de nouveau modes de financement de l'économie, tels que le leasing et le développement du marché obligataire.
Actuellement, les conditions matérielles, économiques et financières sont réunies en Algérie pour une relance de l'industrialisation, la modernisation de l'agriculture et l'essor du secteur du tourisme. L'inflation demeure circonscrite dans des limites proches de celles de nos principaux partenaires. En moyenne sur la période 2000-2007, le taux d'inflation s'est positionné à 2,46 % dans un contexte d'expansion de la dépense publique d'investissement, de surliquidité de l'économie et d'un marché mondiale marqué, récemment, par le renchérissement des produits alimentaires de large consommation.
Les politiques menées aux plans monétaire et budgétaire ont joué un rôle important dans la circonscription de l'inflation dans les limites observées.
La mobilisation sans précédent de fonds publics pour accélérer le développement s'est accompagnée également d'une politique active de désendettement extérieur, qui a ramené le service de la dette à moins de 3 % des exportations des biens et services.
Il convient aussi d'observer que l'impact de ce retour à une croissance durable se traduit par une amélioration conséquente de la situation de l'emploi et d'une réduction du chômage dont le taux représentait 11,8% de la population active en 2007. Enfin, il est possible de percevoir la réalité algérienne sous l'angle de la progression du produit intérieur brut par habitant, qui a plus que doublé en moins d'une décennie, passant de 1.600 dollars en 1999 à près de 4.000 dollars en 2007.
Tous les résultats enregistrés dans le rétablissement des grands équilibres économiques de l'Etat algérien, dans le retour de l'économie sur le chemin de la croissance durable et au niveau de la mobilisation de la population active, permettent de garantir la permanence de l'ensemble des acquis concrétisés dans la sphère sociale dans les domaines de l'éducation, de la culture, de la santé, du logement et des différentes autres composantes du niveau de vie du citoyen algérien.